Les loups
Le loup est un animal mythologique. Au delà de son existence même, de ses caractéristiques, il nous émeut par ses légendes, le sentiment qu'il suscite en nous d'effroi, mais aussi, surtout peut-être, d'admiration vague, d'envie, de jalousie. Il attaque l'homme, disait-on, alors que nous savons que ce n'est pas vrai, au plus rarissime.
Le loup fascine tous ceux pour qui la forêt reste un réservoir redoutable d'enchantement, de mystères et de terreur. De communion avec une nature originelle, où la vie et la mort étaient indissolublement liées, où les " meneux d'loups " et les lous-garous connaissaient les mêmes incantations, partageaient les mêmes secrets, étaient maîtres des mêmes pouvoirs. Ce n'est pas par hasard s'il a fallu une arme lâche, mais magique, indomptable, le poison, pour en venir à bout. Les veneurs savaient bien que, si l'on peut forcer un louvart, ou une louve pleine, un grand loup reste hors d'atteinte. Sinon par l'embuscade.
Le loup fait partie de notre inconscient, Freud l'a bien vu, mais, s'il y avait eu un sens plus intéressé de la nature-mère, il aurait compris que l'arbre à loup de son célèbre patient appartient à un autre modèle de notre inconscient, la forêt.
Les loups ne rôdent plus que dans nos souvenirs d'enfants, dans les contes que répètent encore de très vieilles femmes de nos campagnes. On en a connu qui disaient en se signant, quand tombaient les brouillards des Avents: " voilà le temps aux loups revenu ". Elles contaient des histoires de bergères, moins riches d'enluminures que celle du petit Chaperon Rouge, mais qui faisaient frissonner davantage.
Du loup au loup-garou (ces hommes qui erraient la nuit, transformés en loups), il n'y a guère de chemin à faire. Les légendes sont les mêmes en Transylvanie, en Bretagne ou en Lozère avec la bête du Gévaudan. Elle en aura fait couler de l'encre, cette bête! Au point qu'il fallut toute une armée pour en venir à bout. A région sauvage, bête encore plus sauvage qui aimait autant les bergères que les moutons, et qui semblait douée d'un stupéfiant don d'ubiquité.
Le loup est un héros littéraire, doté d'une psychologie, d'une volonté, de sentiments et de pouvoirs. Le loup du petit Chaperon Rouge sait se déguiser, ruser, contrefaire des voix, et ouvrir des portes. Ailleurs il aura une vie sociale, des amis et des ennemis. Vigny lui donne même une mort individuelle, personnelle, qui était jusque là dévolue à l'homme. Selon Oberthür, les loups suivaient les armées, dévorant cadavres et blessés, faisant, pour ainsi dire, office de voierie militaire. Ce que Verlaine raconte, dans un poème violemment scandé, aux résonnances hugoliennes. Claude Seignolle est l'un des meilleurs conteurs fantastiques et la Sologne lui a fourni le cadre de plusieurs romans ( " Marie la louve "). La Fontaine fera du loup le héros de plusieurs de ses fables. Ainsi a-t-il hanté la littérature, aussi bien celle des poètes, pour qui ils sont un symbole, que les romans d'aventure et les contes.
Dans un roman réaliste du XIXe, on peut lire : " non seulement le loup ne laisse à ses petits que ses restes, mais il dépouille la louve qui apporte sa chasse aux louvetaux, pour se repaître tout son saoul. Et la bat si elle cache sa proie."
Bien éduqué, un louvart doit savoir se débrouiller, et cesser de vivre à charge de ses parents. L'indépendance, faute de se conquérir, doit devenir une obligation. Le contraire du cocooning d'aujourd'hui...
S'ils ne sont plus aussi nombreux, les loups existent encore en Europe. Mais s'ils ont les dents limées, c'est qu'ils ne sont plus vraiment sauvages. Courage, vous ne risquez guère d'en rencontrer un au coin du bois!
Dans l'Yonne, nous avons la chance d'avoir un endroit où les loups sont à l'honneur!